vendredi 24 juin 2022

 Sur une scène de théâtre, le public se sentirait plus concerné


https://pdca.st/f2kT

    J’ai commencé à remarquer la souffrance des enfants en voyant Lore, un film de Cate Shortland consacré aux enfants d’Hitler. 

J’avais été invitée à l’avant-première à Bruxelles. Je me souviens être sortie envahie d’un sentiment de tristesse ahurie et j’ai regretté de ne pas m'être levée pour quitter la salle immédiatement. De tous les acteurs, c’était ce petit bonhomme de neuf ou dix mois qui jouait le mieux. Le film n’est pas disponible sur le site de streaming auquel je suis abonnée et je n’ai certainement pas l’intention de payer quoi que ce soit aux réalisateurs et aux producteurs pour pouvoir le revoir et montrer des extraits, mais je me souviens avoir eu le sentiment que le bébé pleurait du début à la fin du film. Et il pleurait pour de vrai, ça, c’est sûr : il ne jouait pas la comédie.

    Quand j’ai vu que ce film a remporté 14 prix, je me suis demandé si je ne devrais pas m’inquiéter pour l’avenir de l’humanité.


    Depuis lors, je sors instantanément de la fiction dès que je vois un jeune enfant pleurer dans un film. Avant, j’étais comme la plupart des gens. Nous sommes tellement conditionnés à ignorer les pleurs des enfants, nous sommes tout simplement tellement habitués à ce genre de scènes que nous ne réalisons pas que ces tout-petits ne JOUENT pas la comédie. Un bébé ne pleurera jamais s’il est heureux, joyeux, calme serein. Il pleure pour exprimer un besoin. Le problème est que plus nous en voyons, plus nous trouvons cela normal et devenons insensibles.

    Dans Love, Rosie par exemple, l’actrice jouant la jeune mère est tellement brillante que je me suis moi-même laissée emporter par son jeu d’actrice et j’ai oublié l’espace d’un instant que c’est une « étrangère » qui laissait délibérément pleurer le nourrisson dans ses bras ! Est-ce vraiment juste pour ce nouveau-né ? Selon la psychologue Dawn Huebner, les nouveaux nés, même endormis, reconnaissent — et préfèrent — leurs parents aux étrangers.


    Un autre exemple.

    J’étais présente à l’avant-première de Kings, un film franco-belge de la réalisatrice Deniz Gamze Ergüven. Un film intense sur la violence interraciale, mais intelligemment équilibré par des émotions et valeurs humaines d’amour, de soins et de partage. J’aurais certainement recommandé ce film s’il n’y avait pas eu trois scènes. Était-ce réellement nécessaire d’ajouter deux victimes à cette triste histoire vraie ? Les bébés « acteurs » méritaient-ils d’être traumatisés ? Je ne le pense pas. Ces trois scènes n’ont rien ajouté à l’intensité du film.

    Dès l’entame du film, des coups de feu se font entendre. La mère paniquée enjoint à ses enfants adoptifs de se réfugier sous la table de la salle à manger. Si tu te focalises sur le petit garçon de deux ans, il est impossible de ne pas voir qu’il est RÉELLEMENT terrifié. Idem quelques minutes plus tard pendant la scène où une casserole prend feu. Toute la maisonnée paniquée crie et se précipite à l’extérieur. Le petit ne SAIT PAS qu’il est en sécurité ! Il pleure de terreur.

    Et idem encore durant les émeutes où l’on voit deux bambins assis par terre, pleurant jusqu’à ce que la morve leur dégouline sur le visage.


    Nous sommes en 2022 ! Il y a belle lurette que nous avons arrêté de maltraiter les animaux pour le plaisir ! N’est-il pas grand temps d’arrêter de malmener de jeunes enfants pour le divertissement ?

Si l’on en croit les explications de Quantum way, il n’y a pas que les chocs traumatiques tels que les accidents, agressions ou catastrophes naturelles, qui peuvent avoir un impact négatif sur le système nerveux. Il existe également les traumatismes développementaux ou relationnels lorsque nous sommes confrontés à la négligence, à la maltraitance ou au manque de sécurité dans l’enfance. Je ne dis pas que ces bébés « acteurs » ont tous des séquelles des situations stressantes dans lesquelles ils ont été délibérément placés pour les besoins d’un tournage, mais je souhaite que des experts médicaux se penchent sur la question. Au début du XXe siècle, on considérait que les bébés n’avaient pas mal, à en croire la doctoresse Catherine Clement. À la limite, dans les services de chirurgie, dit-elle, on ne donnait pas d’antalgiques. On disait : les enfants n’ont pas besoin de leurs parents à l’hôpital. Lorsqu’ils amenaient leur enfant aux urgences, on leur disait : vous, vous attendez dehors mais heureusement, la science et la médecine ont évolué depuis et ont prouvé que l’attachement était primordial dans le développement sain et résilient de l’enfant. Je suis persuadée que d’ici quelque temps, on aura le recul nécessaire pour comprendre à quel point il est injuste de reproduire sur de jeunes enfants une situation difficile, stressante, traumatisante que d’autres ont réellement vécu, juste pour évoquer, montrer, prouver à quel point l’événement a blessé émotionnellement ou durablement de jeunes enfants. Nous sommes au XXIe siècle. Ce n’est plus nécessaire. Les alternatives existent. Les réalisatrices et réalisateurs peuvent faire confiance à l’intelligence des spectateurs qui savent à quoi ressemblent un tout jeune enfant en pleurs. Donc j’en appelle aux réalisateurs, aux producteurs, aux critiques de cinéma, aux journalistes… S’il-vous-plaît, dès que vous voyez un jeune enfant pleurer dans une film, quittez instantanément la fiction. Concentrez-vous, focalisez-vous sur l’enfant et vous verrez qu’il ne joue pas la comédie, qu’il vit réellement les sentiments, les ressentis qu’il exprime par ses pleurs à l’écran. 

J’ai d’ailleurs l’impression que ce serait plus choquant si l’on transposait la situation sur une scène de théâtre. Le public verrait plus rapidement à quel point c’est choquant d’utiliser de vrais bébés en pleurs pour transmettre des émotions, des sentiments de faim, de peur, de fatigue, de détresse…

    Et toi, tu en penses quoi ?


Merci de signer la pétition 😊

https://chng.it/vRzW48ZS

Traumatisme et système nerveux, Quantum Way
https://www.youtube.com/watch?v=HVVpa_-pLkE

Attachement, dissociation et ICV, Dr Catherine Clement
https://www.youtube.com/watch?v=k8jBTuvGLQI



Become a Patron!

vendredi 17 juin 2022

Préserver la confiance et le sentiment de sécurité des bébés acteurs


https://youtu.be/3OVYaTEMWGU

https://pdca.st/7Q2w

    Voici un nouvel exemple de “maltraitance” de bébés et d’enfants en bas âge dans les films. Je dis bien entre guillemets, je voudrais parler de malmener, ce qui me permet de découvrir encore un nouveau substantif “malmenage”, mais bon… bof. Plus sérieusement, j’ai bien conscience que bien des violences, maltraitance, abus, inégalités que vivent tant d’enfants à travers le monde sont bien plus graves. Et je suis reconnaissante envers les médias, les associations, les organisations, les personnes qui œuvrent à la sensibilisation des gens dans l’espoir d’éradiquer ces horreurs. Si je m’entête dans mon engagement, c’est parce que je sens au plus profond de moi que d’ici quelques années (j’espère encore de mon vivant), cela deviendra une évidence. Il sera tout à fait normal de filmer des bébés calmes, sereins, heureux et de recourir aux nombreuses alternatives pour évoquer des émotions, des ressentis négatifs.         


    Ces enfants sont notre avenir. Notre civilisation part en capilotade. À mon sens, il est capital de revoir les bases, de revoir l’éducation, de nous centrer davantage sur les enfants, sur les jeunes. Ce sont eux qui créeront le monde de demain. Et si je veux que ce monde soit respectueux des droits de tou.te.s, nous devons commencer par respecter tous les êtres, même les plus jeunes. Même ceux dont nous ne comprenons pas le langage. Les petits humains ont droit à autant d’égards que les grands. 


    Aujourd’hui, je te présente le film indien Amu de Shonali Bose. Autant il est intéressant d’apprendre une partie de l’histoire méconnue des Sikhs, autant il est difficile de ne pas avoir mal au coeur lorsqu’on se focalise sur le petit garçon pendant toute la durée de la scène. Il commence à pleurer lorsque la famille, assise par terre pour le repas, entend soudain les cris d’une foule déchaînée. Il n’est pas nécessaire de comprendre la langue pour savoir que le petit appelle Mummy en pleurant. Durant la totalité de la scène, le petit ne cesse de pleurer. Détonation, coups de feu, hurlements, bris de verre. L’actrice représentant la mère de famille s’écrie anxieusement : « C’était quoi ? », le père se lève, prend un couteau, intime à « sa femme » de rester à l’intérieur avec les enfants. La femme attrape les enfants, les force à se lever et à se cacher sous une tablette…

    Si tu gardes ton attention sur le petit garçon durant toute la scène, tu comprendras qu’il ne fait pas semblant d’être terrifié, il L’EST ! Il pleure pour de vrai et appelle sa maman à l’aide. Personne ne lui aura dit que c’est du cinéma, qu’il n’a pas à avoir peur, que rien de tout ce qu’il vit n’est réel… Bien évidemment, sinon il n’aurait pas pleuré et la scène aurait manqué de réalité.

    Comment ensuite inculquer la confiance à ce jeune enfant ? Comment espérer qu’il développe une confiance dans les adultes, dans la vie ?

    Ai-je vraiment envie que l’on traumatise de jeunes enfants pour mon plaisir de spectatrice ?

Comment les réalisatrices et réalisateurs peuvent-ils penser que ce n’est pas grave ? Et si ça l’était ? Dès que l’on s’efforce de ne pas se laisser emporter par la fiction, dès que l’on garde une attitude d’observateur conscient, comment ne pas penser que c’est injuste d’infliger cela aux jeunes enfants ? De provoquer chez ce petit la peur, l’angoisse, le désespoir de ne pas recevoir le réconfort et l’aide qu’il réclame… 

    Si on remplaçait le bambin par un animal, je suis sûre que des personnes parleraient de cruauté. 


    Et toi, tu en penses quoi ?

    Veux-tu soutenir mon engagement en signant la pétition ou en m’envoyant d’autres exemples de « malmenage » de bébés sur les tournages ?


La pétition :


https://chng.it/vRzW48ZS

Amu, Shonali Bose, 2005

Become a Patron!

vendredi 10 juin 2022

L’angoisse de la séparation


    Dans mon engagement à sensibiliser le monde à la détresse psychologique et émotionnelle des bébés et enfants en bas âge dont on utilise les pleurs dans les films, je t’en présente un aujourd’hui qui me fend le cœur. Je ne l’ai regardé jusqu’au bout que pour en extraire les passages dont j’avais besoin pour argumenter ma vision de ces scènes que j’estime délétères pour le développement de l’enfant. Il s’agit de 3 Türken und ein Baby (3 Turcs et un bébé) de Sinan Akkuş que je t’invite à regarder en pleine conscience. La petite « actrice » doit avoir deux ans environ car elle n’a pas encore la parole. Elle exprime cependant très clairement sa détresse psychologique par ses pleurs et par son langage corporel. 


    Je m’interroge vraiment sur ces scènes écrites, programmées d’un film. Les parents expliquent-ils à leur enfant qu’on va les faire (ou laisser) pleurer pour le plaisir, pour faire rire des gens ou les émouvoir ? Combien de personnes adultes y a-t-il sur le tournage d’un film ? Vingt ? Cinquante ? Cent ? Plusieurs centaines ? J’aurais voulu être une mouche pour voir la réaction de tous ces gens : étaient-ils indifférents aux pleurs de la petite actrice ? Décontenancés ? Tristes ? Amusés peut-être puisque le but du film était de faire rire. Aux dépens de la petite fille ?!? Si ça tombe, la mouche, elle, aurait été horrifiée de voir ce que notre espèce inflige à ses petits. Parce que la petite figurait parmi les meilleurs acteurs du film : quand elle se débat, quand elle s’écarte ostensiblement du buste de l’acteur qui la porte, quand elle tente vainement par ses cris et ses pleurs d'obtenir de sa maman qu'elle vienne la reprendre des bras de cet homme, elle pleure VRAIMENT.

    Dans la scène de l’hôpital, lorsqu’elle est assise sur les épaules de l’homme, elle est tranquille au début. Si tu te concentres sur son visage, en particulier ses yeux, tu verras qu’elle regarde vers le bas, observe quelque chose ou quelqu’un puis se met soudainement à pleurer. Et si tu restes concentrés sur son regard, tu remarqueras que ses émotions, ses appels à l’aide sont réels. Qu’a-t-elle vu ? Qu’a-t-on fait pour déclencher ses pleurs ? N’est-ce pas tordu de rechercher CE QUI va immanquablement déclencher les larmes de la petite fille pour l’utiliser à dessein ? Pour le divertissement ? C’est choquant, non ?


    Selon la psychologue Dawn Huebner, même si l’angoisse de la séparation est la plus forte entre six et huit mois, les nouveaux nés, même endormis, reconnaissent — et préfèrent — leurs parents aux étrangers. Quant aux bruits soudain et forts, ils effraient et déstabilisent les bébés parce qu’ils n’ont pas encore un système sensoriel complètement développé, dit-elle. Et ces bruits peuvent être ressentis comme physiquement inconfortables, même chez les bambins, ajoute la psychologue Tamar Chansky. La clé, explique une autre psychologue, Janine Domingues, c’est le confort. Un nourrisson ou un enfant en bas âge est encore dans la phase de développement du lien de sécurité qui le rattache à ses parents. Il est donc essentiel qu’il sache qu’ils le maintiendront en sécurité*.


    Depuis ma prise de conscience, je sors instantanément de la fiction dès que je vois un jeune enfant pleurer dans un film. Avant, j’étais comme la plupart des gens. Je pense que nous sommes tout simplement tellement conditionnés à laisser pleurer les bébés, tellement habitués à ce genre de scènes que nous ne réalisons pas que ces tout-petits ne JOUENT pas la comédie. Le problème est que plus nous en voyons, plus nous trouvons cela normal et devenons insensibles. C’est pour cette raison que je continuerai mon combat. Une personne à la fois…

    Et si c’était toi ?

    Merci de signer la pétition pour participer à la co-création d’un monde juste.


https://chng.it/vRzW48ZS

    

Sunny Sea Gold, Kid fears at every age, Parents, 2017

https://www.parents.com/toddlers-preschoolers/development/fear/kid-fears-at-every-age/
(consulté le 24 mai 2022)


3 Türken und ein Baby, Sinan Akkuş, 2015




Become a Patron!

lundi 23 mai 2022

Un monde juste 




https://pdca.st/yBfj


Face à l’adversité, aux épreuves, aux atrocités et autres calamités de notre monde actuel, de nombreuses personnes, de nombreux organismes s’activent à créer un monde meilleur, à défendre les droits de minorités, quelles qu’elles soient. Je souhaite participer à la co-création d’un monde juste. Non pas d’un monde plus juste, puisque cela impliquerait encore toujours des inégalités, mais un monde juste. Pour tous. 

Tu connais peut-être la légende du colibri, tirée de la philosophie du Mouvement Colibris, de Pierre Rabhi : 

Un gigantesque incendie ravage la forêt. Le colibri se précipite vers le lac, où il ne peut prendre que quelques gouttes d'eau dans son bec, va les verser sur le feu, revient vers le lac et continue ainsi sans relâche. Les autres animaux se moquent de lui, disant que c'est inutile. Lui répond : je fais ma part.

Ma part de colibri est de tenter de mettre fin à l'exploitation des émotions et sentiments de détresse de bébés et d’enfants en bas âge exprimés par des pleurs dans les films.


Suis-je la seule à être choquée en lisant l’article de Chris Snyder’s intitulé « Here's how they make babies cry in TV and movies »* (Voici comment ils font pleurer les bébés à la télé et au cinéma) ? 

Une dame, E. H., dont la profession est baby wrangler — littéralement "dresseuse de bébés", à l'instar des dresseurs animaliers pour les besoins d'un tournage —, utilise une technique spéciale pour faire pleurer un bébé sur commande : elle se met à pleurer elle-même et l’enfant commence à pleurer aussitôt. Elle explique que lorsqu’un bébé, même un nourrisson, entend un autre bébé pleurer, il va se mettre à pleurer aussi, et elle ajoute que c’est un exemple d’empathie. C’est instantané, dit-elle, et son taux de réussite est de 100%. Elle témoigne avoir entendu dire que d’autres baby wranglers utilisent des techniques douteuses comme de placer de mauvaises odeurs devant l’enfant ou de provoquer un bruit soudain intense. Ces méthodes, précise-t-elle, peuvent toutefois être nocives pour l’enfant et devraient être évitées.



Ne faudrait-il pas plutôt éviter d’utiliser les pleurs de bébés et d’enfants en bas âge à la télévision et au cinéma ? Comment peut-on affirmer que le bébé pleure par empathie ? Place quelques acteurs dans un lieu bondé et demande-leur de s’enfuir soudainement en courant et en criant. À coup sûr, l’expérience déclenchera un mouvement de foule. Si l’on interroge ensuite les personnes présentes, je serais étonnée de voir le nombre de personnes qui ont suivi le mouvement par empathie… De même, ne serait-ce pas plutôt parce que les bébés ne se sentent pas rassurés qu’ils se mettent à pleurer en voyant ou en entendant quelqu’un d’autre pleurer ? Comme le dit E. H. elle-même, lorsqu’elle arrête de pleurer et réassure l’enfant en lui disant que tout va bien, il s’arrête de pleurer. N’est-ce pas tordu de d’abord faire croire l’inverse à l’enfant, pour ensuite le rassurer lorsque la scène a été tournée ? 


« Un bébé, ça pleure tout le temps », entend-on dire souvent. Est-ce une raison pour le faire pleurer une fois de plus pour le divertissement ? Surtout quand il existe d’autres méthodes comme d’utiliser des poupées. Grâce à l’évolution des technologies, les répliques de bébés sont hyper réalistes à l’heure actuelle. J’avais contacté une entreprise spécialisée dans la création de poupées hyperréalistes pour l’art et le cinéma. Leur réponse : ne vous inquiétez pas, la réglementation est stricte et les réalisateurs la respectent.

Dans ce cas, j’estime que la législation ne correspond plus aux connaissances actuelles et je souhaite convaincre les législateurs de l’adapter. En France, par exemple, il est interdit de faire tourner un bébé avant ses 3 mois. Et pour un enfant entre 3 mois et 3 ans, la règle est une heure par jour de présence sur le plateau avec une pause obligatoire après trente minutes. C’est bien, mais on pourrait aller plus loin pour mieux défendre les droits des bébés et imposer de stopper immédiatement le tournage dès que l’enfant manifeste des signes de détresse physiologique ou émotionnelle. Et encore, en Belgique, les règles sont bien plus souples, paraît-il. Comme l’explique Rémi Bezançon qui, pour les besoins d’un tournage, a planté son décor dans une vraie maternité et a attendu jusqu'à ce qu’une future mère sur le point d'accoucher leur annonce qu'elle est d’accord de leur «prêter» cinq minutes son enfant**. La photo du film montre un nourrisson le visage crispé de pleurs, comme les poupées Berenguer, hyperréalistes, qui pleurent.



Et si les producteurs tiennent à filmer un vrai bébé — et je ne demande pas mieux qu’ils continuent parce que j’aime voir des bébés dans les films, mais des bébés heureux, sereins — il suffit tout simplement de ne pas montrer le visage de l’enfant et de passer l’enregistrement de pleurs d’un bébé en situation normale. Ou de filmer la poussette vide. De plus en plus de réalisateurs ont recours à ces méthodes.


Comme l’explique la Leche League sur son site***, les pratiques courantes dans les pays industrialisés qui consistent à laisser un bébé pleurer « ne correspondent pas aux besoins émotionnels et psychologiques des jeunes enfants, et peuvent avoir des conséquences négatives à long terme sur leur santé psychologique. Les pleurs du bébé sont un signal de détresse physiologique ou émotionnelle. Laisser un bébé pleurer sans lui apporter de réconfort, même pendant une courte période, peut être très angoissant pour lui. »


Il existe certes un débat sur la question de savoir s’il est bon ou non de laisser pleurer un bébé et des professionnels de la santé auront des arguments pour ou contre, mais que dire de la commercialisation de cette pratique par l’industrie de la télévision et du cinéma ? Pour le divertissement…?!? C’est choquant, non ?


Personnellement, je ne trouve pas cela juste pour ces jeunes enfants. Je repense à ce petit que l’on voit sur la photo, filmé pour la série Collateral de David Hare. Il pleure dans les bras de « sa mère », junkie, qui se fait livrer une pizza censée être accompagnée de la drogue qu’elle a commandée. Si l’on prête attention au bébé « acteur », on constate que les pleurs collent avec les images. Ce sont les pleurs réels du bébé, que l’on a déclenchés avant même l’arrivée du livreur, casque de moto vissé sur la tête, ce qui n’est certainement pas fait pour apaiser la peur du bébé.

Comment ont-ils fait pour le faire pleurer juste avant de tourner la scène ? Ils l’ont arraché des bras de sa mère ?

Je n’ai plus envie d’acheter un ticket de cinéma ou un dvd sans avoir la garantie que le réalisateur n’a laissé aucun enfant en bas âge pleurer pour les besoins du tournage. Et si l’industrie du cinéma ne juge pas opportun de généraliser la mention que je propose — « Aucun bébé ni enfant en bas âge n’a été malmené ou maltraité durant ce tournage » — que l’on impose au moins l’avertissement : « Des enfants en bas âge ont été amenés à pleurer pour les besoins du tournage », pour que je puisse choisir en connaissance de cause.


Et toi ? N’as-tu pas envie d’un monde juste ?


* SNYDER Chris,Here's how they make babies cry in TV and movies, 2019

https://www.businessinsider.com/babies-cry-movies-tv-hollywood-baby-wrangler-kids-2019-1?IR=T

(consulté le 25 avril 2020)



** BAJOS Sandrine, Enfants artistes : les bébés belges stars à un jour, article du Parisien de 2017,

https://www.leparisien.fr/laparisienne/people/enfants-artistes-les-bebes-belges-stars-a-un-jour-09-03-2017-6746487.php

(Consulté le 22 mai 2022)


*** Ne laissez pas pleurer les bébés, article paru dans les Dossiers de l’allaitement, 2004,

https://www.lllfrance.org/1337-da-61-ne-laisser-pas-pleurer-les-bebes 

(consulté le 25 avril 2020)


Crédits photos

https://www.leparisien.fr/laparisienne/people/enfants-artistes-les-bebes-belges-stars-a-un-jour-09-03-2017-6746487.php

https://www.lucasbebe.com/product/14-pouces-pleurer-premature-berenguer-la-vie-reborn-poupee-bebe-garcon-1172906

https://www.amazon.ca/-/fr/Poupée-pleurant-Berenguer-LifeLike-accessoires/dp/B01D6G2G0Q

(Consultés le 22 mai 2022)


Become a Patron!

vendredi 13 mai 2022


Des bébés heureux dans les films

Je te présente une cause qui me tient à cœur. Je tente de sensibiliser les spectateurs à l’inutilité de faire/laisser pleurer les bébés et enfants en bas âge dans les films. Je me propose de te partager chaque vendredi ma vision d’un film ou d’une scène en particulier. 

Et je t’invite à signer la pétition :

https://chng.it/vRzW48ZS

Crédit photo :
La Leche League
https://www.lllfrance.org/1337-da-61-ne-laisser-pas-pleurer-les-bebes
(consulté le 25 avril 2020)




J’ai pris conscience il y a quelques années déjà que les bébés ne sont pas des acteurs. J’aime voir les bébés dans les films et je ne veux certainement pas que cela change. Mais des bébés heureux. Un bébé qui se sent en sécurité va être souriant, joyeux, calme, serein. Si un bébé pleure, c’est parce qu’il exprime un besoin. Il est fatigué, il a faim, il n’est pas rassuré, il a peur, il est stressé. Je parle bien entendu des enfants en bas âge, qui n’ont pas encore la parole. Qui n’ont donc pas d’autres moyens que leurs larmes pour exprimer leurs besoins. Pourquoi aimons-nous le cinéma ? Pourquoi aimons-nous regarder des films ? Parce qu’ils nous permettent de nous évader, de lâcher prise, oublier nos soucis, nous laisser emporter par la fiction et si le film devient trop angoissant, horrible, triste,… on peut toujours se réconforter en se disant « ce n’est qu’une fiction, ces gens sont des acteurs, ils jouent un rôle ». Si ce n’est que les bébés ne le sont pas. Les bébés pleurent vraiment. Leurs larmes reflètent leurs sentiments, leurs ressentis.


Certains d’entre vous figuraient peut-être parmi les millions d’internautes qui ont vu la vidéo qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux, celle d'un papa dont les enfants font irruption dans son bureau alors qu’il est interviewé par la BBC. « Hilarious, the most laughable video… », ont commenté les internautes. Suis-je la seule à ne pas avoir ri ? Suis-je la seule à avoir vu la dureté avec laquelle la mère sort la petite fille de la pièce ? Si on passait les images au ralenti, les gens verraient-ils la brutalité ? Et si c’était un chiot ou un chaton que la femme avait tiré brutalement par la patte, à deux doigts de lui déboîter l’épaule pour ensuite le traîner au sol ? Les organismes de protection animale ne seraient-ils pas monté au créneau ? Si vous focalisez votre attention sur la petite, vous verrez qu’elle se prend d’abord le coin de la table dans les côtes et qu’elle crie clairement lorsque sa mère la tire par le bras : aïe aïe aïe tandis que la dame la fait quasiment passer sous le trotteur du petit frère, l'espace laissé entre le trotteur et le chambranle de la porte étant trop étroit. Si l’on écoute attentivement, on entend distinctement les cris de douleur de la petite fille.

La vidéo étant devenue célèbre entre-temps, la famille en a diffusé de nouvelles montrant que la petite va bien. La mère a réagi à chaud, dans le stress de l’interview, mais les parents auront probablement pu expliquer à leur fille pourquoi sa mère lui a fait mal.


Que dire des scènes écrites, programmées d’un film ? Les parents expliquent-ils à leur enfant qu’on va les faire (ou laisser) pleurer pour le plaisir, pour le divertissement, pour faire rire des gens ou les émouvoir ?

Si l’on en croit la neuropsychologue Bérengère Guillery-Girard, « Bien que nous oubliions les premières années de notre vie, elles marquent pourtant durablement notre personnalité à l’âge adulte »*.

Ai-je vraiment envie que l’on traumatise de jeunes enfants pour mon plaisir de spectatrice ?

Comment les réalisatrices et réalisateurs peuvent-ils penser que ce n’est pas grave ? Et si ça l’était ? Dès que l’on s’efforce de ne pas se laisser emporter par la fiction, dès que l’on garde une attitude d’observateur conscient, comment ne pas penser que c’est injuste d’infliger cela aux tous jeunes enfants ?


Je me demande d’ailleurs comment ils font, les réalisateurs. Ils affament l’enfant ou quoi ? Ils le maintiennent éveillé et attendent qu’il soit épuisé ? Ou bien ils l’empêchent de voir ses parents ?

N’y a-t-il aucun moyen de protéger ces bébés et enfants en bas âge qu’on laisse délibérément pleurer alors que les alternatives existent ? Certains réalisateurs se contentent d’enregistrer les pleurs réels d’un bébé et de coller ensuite la bande son sur les images d’un nourrisson que l’acteur ou l’actrice porte la tête tournée vers soi. Ils ont confiance en l’intelligence des spectateurs qui savent très bien à quoi ressemble un bébé en pleurs. 

Inutile d’en traumatiser un !


J’ai commencé à remarquer la souffrance des enfants il y a une dizaine d’années.

Depuis lors, je sors instantanément de la fiction dès que je vois un jeune enfant pleurer dans un film. Avant, j’étais comme la plupart des gens. Je pense que nous sommes tout simplement tellement habitués à ce genre de scènes que nous ne réalisons pas que ces tout-petits ne JOUENT pas la comédie. Le problème est que plus nous en voyons, plus nous trouvons cela normal et devenons insensibles.


Lorsque tu verras un jeune enfant pleurer dans un film, je t’invite à quitter la fiction et à te concentrer sur l’enfant. Ecoute-le appeler sa maman, focalise-toi sur son regard, probablement tourné vers sa maman j’imagine, qui semble dire pourquoi tu me fais ça.


Comment se fait-il qu'on laisse faire ? Pourquoi continue-t-on à regarder et à laisser faire ? « Le monde est dangereux non pas à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire », disait Albert Einstein. Eh bien, je ne veux plus laisser faire. Je ne souhaite plus voir d’enfants en bas âge dont les besoins ont délibérément été niés pour obtenir d’eux qu’ils pleurent de façon durable. Je n’ai plus du tout envie de payer des producteurs pour qu’ils laissent des bébés dans des situations stressantes, qu’ils laissent le bébé exprimer un besoin de façon durable pour les besoins du tournage, parce que la scène n’est pas complète. Et ce pour mon plaisir, pour mon divertissement, c’est choquant.


Je demande aux autorités européennes et internationales d’adopter une loi sur l’utilisation de bébés et d’enfants en bas âge pour le divertissement, d’étudier les effets psychologiques à long terme sur eux et d’interdire l'exploitation des sentiments de tristesse, peur, douleur, détresse de bébés ou d'enfants en bas âge pour les besoins d’un tournage.


Et je fais le vœu de voir un jour apparaître sur CHAQUE film la mention « Aucun bébé ni enfant en bas âge n’a été brutalisé ou maltraité durant ce tournage ». 


Et toi ?


Plusieurs personnes de mon entourage en sont convaincus. Si tu l’es également, signe la pétition. Merci !


Pour signer la pétition :

https://chng.it/vRzW48ZS



*Article
Le mystère de l’amnésie infantile se dissipe, article de Bérengère GUILLERY-GIRARD paru dans la revue La Recherche hors-série n° 22 « La Mémoire », p. 41.

Ce site n'existerait pas sans vos contributions. Merci beaucoup! 
Si vous aussi vous souhaitez contribuer, n'hésitez pas à m'offrir un café ou à devenir mécène. Merci!
Become a Patron!

mardi 10 mai 2022

Dans un tiroir et dans un sac de sport

    Comme je me suis engagée à le faire, je te présente quelques extraits pour te parler du combat qui me tient à cœur, à savoir d'obtenir des réalisateurs qu'ils cessent d’exploiter les sentiments de détresse, peur, inconfort qui provoquent les pleurs de bébés et d'enfants en bas âge dans les films. 

Je me rends compte que le terme de « combat » est peut-être mal choisi pour définir mon intention. Je découvre que le substantif démènement existe, mais bof. Je ne me bats pas, je ne lutte pas contre les réalisateurs, les producteurs, les acteurs, les spectateurs, je me démène pour sensibiliser le monde, pour que les gens ouvrent les yeux et prennent conscience, en regardant un bébé pleurer à chaudes larmes dans une fiction, de l’injustice d’avoir placé ce jeune être vivant dans cette situation stressante, peu rassurante ou incommode puisqu’il en vient à pleurer pour manifester comme il peut son besoin d’être rassuré. 

    Comme toi, j’ai déjà vu les coulisses d’un tournage. Je me souviens d’une scène dans laquelle un acteur agresse violemment une actrice. Dès que le réalisateur criait « couper », l’homme se précipitait vers la femme pour lui demander « ça va ? » avec une gentillesse et une bienveillance qui m’avaient touchée. Parce que le métier d’acteur est un métier. Ces personnes ne pleurent pas sur commande sans faire remonter en eux l’émotion correspondante. Dès la scène bouclée (même s’ils ont dû la refaire des dizaines de fois si l’on en croit les reportages en coulisse), les actrices et acteurs peuvent prendre un moment pour chasser l’émotion qui les a amenés à pleurer, pour la traiter, la mettre de côté. Et retrouver la sérénité. 

    Le problème en filmant les pleurs d’un tout petit, c’est qu’on nous conforte — et là je devrais ajouter « nous, occidentaux » parce que dans de très nombreuses régions du monde, les adultes entourant les tous jeunes ne les laissent pas pleurer sans tenter de comprendre l’émotion ou le besoin que ces larmes expriment et d’y remédier — dans l’insensibilité ou le fatalisme : « bah, un bébé, ça pleure tout le temps ». Est-ce une raison pour le faire pleurer une fois de plus, pour mon divertissement ? 

    Je me souviens de la réaction d’une dame que je tentais de sensibiliser. Elle avait participé au tournage d’un film retraçant le parcours de réfugiés fuyant leur pays en guerre. Près de cette femme, une figurante attendait, comme les autres, le début de la scène, entourée de ses enfants et portant dans les bras son dernier âgé d’une dizaine de mois. Avant la scène, ce petit dernier était tranquille, ne sachant bien évidemment pas la raison de sa présence près de ces soldats, de ces camions militaires et d’une foule de gens. Quand soudain les figurants ont mimé un accès de panique générale, la foule s’est mise à courir, se bousculant pour monter à bord des véhicules. 

    On peut se demander quel était le meilleur acteur. À mon avis, c’était ce tout petit qui a réellement paniqué. Il s’est mis à pleurer, ne comprenant absolument pas pourquoi sa mère s’est mise à courir, faisant semblant d’être inquiète pour ses enfants. Comment ce petit était-il sensé comprendre que c’était « pour du beurre » ? Que ce n’était pas réel. L’argument de mon interlocutrice était que la situation, l’environnement étaient absolument sans danger pour le bébé. Contrairement à la réalité quelques années plus tôt. Et que donc, il n’y avait rien d’injuste à faire vivre à un jeune enfant ce que d’autres ont enduré réellement. 

    Sérieusement ? Quelle est la différence de « réalité » du point de vue du bébé ? Je m’efforce à ouvrir les yeux des gens sur l’inutilité d’engager un bébé « acteur » pour ce genre de scène. Les alternatives existent et sont même nombreuses.

Comme dans le premier extrait que je te présente. Il s'agit de l'épisode 14 de la 7e saison de Grace & Frankie, sortie cette année. Lorsqu'on entend un bébé pleurer, on comprend aisément que c'est un enregistrement collé sur les images du maxi-cosi que l'on devine vide d’ailleurs. Et ensuite, c'est un bébé calme, serein, que l'acteur dépose délicatement dans un tiroir de la cuisine. La petite joue avec les mains, montrant clairement qu'elle ne ressent aucuns besoins, elle est bien. Je remercie Marta Kauffman et Howard Morris d'avoir respecté le bien-être de cette petite. 

    Que dire de l'autre extrait ?, dont on voit ici la photo, également de cette année mais dont j'ai malheureusement oublié le titre. Le réalisateur laisse à penser qu’une personne découvre un sac de sport à l’intérieur duquel pleure un bébé. Bien évidemment, les spectateurs se doutent qu’on n’a pas réellement refermé le sac de sport sur le bébé, mais déjà rien que les quelques secondes du film montrent que le bébé n’est pas à l’aise, ne se sent pas en sécurité et réclame par ses pleurs qu’on lui vienne en aide, qu’on le sorte de cette situation. 

    Si c’était un chaton, un chiot, ou un petit de n’importe quelle autre espèce que les humains, filmé en train d’appeler à l’aide, les défenseurs des animaux monteraient au créneau. Comment se fait-il que l’on tolère cette pratique pour nos petits ? 

    Dès que j’en ai l’occasion, j’interpelle les réalisateurs mais bizarrement, c’est mon intervention qui choque le public. J'aurai l'occasion d'y revenir au prochain épisode. Je choque peut-être le grand public qui pense, j’imagine, que je compare les bébés à de jeunes animaux. À mes yeux de personne non anthropocentriste, la comparaison s’arrête au langage. Je parle uniquement d’enfants qui n’ont pas encore « la parole », entendez notre parole. Car les bébés, comme les animaux, ont un langage que la plupart de nous ne comprenons pas. 

    Et toi ? Qu’en penses-tu ?

    Si tu souhaites te joindre à mon engagement, je t’invite à signer la pétition dont le lien se trouve ci-dessous pour qu’ensemble, nous puissions participer à la création d’un monde juste.


Pour signer la pétition : 

https://chng.it/vRzW48ZS





Grace&Frankie, S7E14, Marta Kauffman et Howard Morris, 2022






Become a Patron!

lundi 10 mai 2021

Les petits humains ont droit à autant d’égards que les grands


Les petits humains ont droit à autant d’égards que les grands





https://pdca.st/IBl2


        Dans mon engagement à défendre la cause des bébés et enfants en bas âge qu’on laisse pleurer dans les films, je te raconte comment s’est déroulée la dernière fois que j’ai interpellé un réalisateur. 

    C’était un soir de 2019. Je suis invitée à l’avant-première du film Docteur ? de Tristan Séguéla. 

Une comédie. 

Drôle. 

Au jeu d’acteurs excellent. 

J’ai pourtant provoqué un tollé quasi général à mon encontre en fin de séance. La risée du public. Pas grave, j’ai survécu. Mais commençons par le début.

Lorsque j’entre dans la salle de cinéma, je ne peux m’empêcher de penser « Quel monde! ». Je sais qu’il s’agit d’une comédie avec Michel Blanc — je n’ai pas retenu le nom du second acteur principal que je ne connais pas —, mais tout de même, je ne m’attendais pas à une salle comble. 

Quelques minutes avant l’entrée du présentateur, les organisateurs s’activent à déplacer des personnes pour permettre à tous les spectateurs de s’asseoir. 

Je comprendrai à l’issue de la séance que c’est surtout Hakim Jemili qui a attiré la foule ce soir-là. 

À juste titre, d’ailleurs.

 

D’autant plus dommage que ce soit les pleurs d’un nourrisson qui aient déclenché les premières salves de rire. Un nourrisson jouant le rôle d’un bébé malade — "jouant le rôle", comment se peut-il que je rencontre autant de difficultés depuis tant d’années à ouvrir les yeux des gens sur cette aberration ? — jouant donc, malgré lui, le rôle d’un nourrisson malade, pleurant à chaudes larmes et dont les "parents" ont appelé un médecin.

Le fameux "Docteur", en passe d’être radié de l’ordre des médecins. Et pour cause… Perdant patience devant les pleurs du nourrisson, il intime au "père" l’ordre de lui tenir les épaules, à la "mère", de lui tenir les pieds… et il fourre son pouce dans la bouche de l’enfant. 

Qui hurle de plus belle. 


J’étais la seule à ne pas rire. Aussi, à l’issue du film, ai-je pris la parole.

Lorsque je reçois le micro, après un premier spectateur qui a posé une question à Michel Blanc, je tente d’expliquer mon point de vue. Je m’adresse à la salle et au réalisateur, mais comme M. Blanc a le micro, il pense que je m’adresse à lui. 

Ai-je été maladroite ? Certainement. Agressive ? Je ne le pense pas. En tout cas, je n’en avais pas l’intention. Et encore moins de viser l’acteur qui s’est défendu avec véhémence. 

        -    Je suis un acteur, Madame. J’exerce mon métier d’acteur…

Il est tellement piqué au vif qu’il peine à maîtriser sa colère. Au point que j’en perds l’usage de mes oreilles qui se réveillent vers la fin :

        -    … et d’ailleurs, j’ai refusé de mettre mon pouce dans la bouche de l’enfant.

        -    C’est vrai, intervient le réalisateur pour le défendre. Le pouce que vous avez vu à l’écran est celui d’un technicien de la production.

Et toute la salle de redoubler de rire. 


Si l’acteur principal a refusé de se prêter à cette scène, n’est-ce pas pour le même sentiment qui m’anime en regardant cette injustice ? N’est-ce pas précisément parce qu’il ressentait que ce geste avait quelque chose de tordu, de déplacé pour le moins ?

Et M. Séguéla de raconter l’anecdote, supposée justifier le choix de la scène. 

        -    C’est inspiré d’un fait réel ! Cela nous est arrivé, vraiment : mon enfant était malade, avait de la fièvre et le médecin, excédé par les pleurs, a mis son pouce dans la bouche de notre bébé dans l’espoir de le faire taire.

Pendant que la salle rit aux éclats, je regrette que l’hôtesse ait repris le micro, m’empêchant de formuler ma réaction à voix haute :

        -    Et quoi ? C’est parce que votre propre enfant a vécu cette situation désagréable, c’est parce que vous avez été choqué par le geste de ce médecin, parce que votre bébé pleurait vraiment beaucoup, que vous avez eu envie de reproduire la scène avec un autre môme ? Pour nous faire rire ? Vous riiez, vous, quand l’homme a mis son pouce "pour de vrai" dans la bouche de votre bébé ? Le fait de tourner une fiction vous donne-t-il le droit de charger un technicien de mettre aussi son pouce "pour de vrai" dans la bouche d’un bébé "acteur" pour qu’il pleure lui aussi "pour de vrai" ? Et ce, pour le divertissement des spectateurs… 


Je n’oublierai jamais le regard noir de Michel Blanc. Si ses yeux avaient été chargés, ils m’auraient trucidée sur place. Un regard d’incompréhension mêlée de haine. Du moins, c’est ainsi que je l’ai reçu. Je ne visais pourtant en rien ses qualités d’acteur ni son professionnalisme. Je m’adressais à la salle, dans l’espoir de sensibiliser les gens à cette cause qui me tient à coeur. Et au réalisateur surtout.


Je me demande si je ne suis pas encore plus choquée de voir que la quasi totalité des personnes présentes étaient choquées par mon discours. 

Combien de fois ne m’a-t-on pas répondu : tous les bébés pleurent, c’est normal. Bien évidemment que c’est normal, c’est comme cela qu’ils s’expriment. Tout comme il est normal pour un chat de miauler, pour un chien d’aboyer, etc. Les bébés pleurent pour s’exprimer, parce qu’ils n’ont pas encore la parole. Est-ce une raison pour ne pas tenter de les comprendre et de répondre à leurs besoins ? 

Imaginez votre chaton transi de froid sous la pluie qui se met à miauler devant la porte. Vous le laisseriez dehors, vous, à miauler dans le froid pendant un quart d’heure avant de le laisser entrer ? Juste pour rire. Pour le plaisir…


Il y a des choses plus graves que cela dans la vie. Bien plus graves, j’en conviens. Mais je persiste à penser que cette scène était inutile. Le scénario est bon, bien ficelé, les acteurs sont excellents, le film aurait aussi été une réussite sans prendre le risque de traumatiser ce tout jeune enfant. 

Seule Fadily Camara, l’épouse de M. Jemili, qui se tenait à ses côtés sur le devant de la scène m’a envoyé un regard de compréhension et de soutien.

Je poursuivrai donc mon combat. 

Une personne à la fois.


Docteur ?, Tristan Séguéla, 2019

Merci de signer la pétition


https://chng.it/vRzW48ZS


Become a Patron!