mardi 10 mai 2022

Dans un tiroir et dans un sac de sport

    Comme je me suis engagée à le faire, je te présente quelques extraits pour te parler du combat qui me tient à cœur, à savoir d'obtenir des réalisateurs qu'ils cessent d’exploiter les sentiments de détresse, peur, inconfort qui provoquent les pleurs de bébés et d'enfants en bas âge dans les films. 

Je me rends compte que le terme de « combat » est peut-être mal choisi pour définir mon intention. Je découvre que le substantif démènement existe, mais bof. Je ne me bats pas, je ne lutte pas contre les réalisateurs, les producteurs, les acteurs, les spectateurs, je me démène pour sensibiliser le monde, pour que les gens ouvrent les yeux et prennent conscience, en regardant un bébé pleurer à chaudes larmes dans une fiction, de l’injustice d’avoir placé ce jeune être vivant dans cette situation stressante, peu rassurante ou incommode puisqu’il en vient à pleurer pour manifester comme il peut son besoin d’être rassuré. 

    Comme toi, j’ai déjà vu les coulisses d’un tournage. Je me souviens d’une scène dans laquelle un acteur agresse violemment une actrice. Dès que le réalisateur criait « couper », l’homme se précipitait vers la femme pour lui demander « ça va ? » avec une gentillesse et une bienveillance qui m’avaient touchée. Parce que le métier d’acteur est un métier. Ces personnes ne pleurent pas sur commande sans faire remonter en eux l’émotion correspondante. Dès la scène bouclée (même s’ils ont dû la refaire des dizaines de fois si l’on en croit les reportages en coulisse), les actrices et acteurs peuvent prendre un moment pour chasser l’émotion qui les a amenés à pleurer, pour la traiter, la mettre de côté. Et retrouver la sérénité. 

    Le problème en filmant les pleurs d’un tout petit, c’est qu’on nous conforte — et là je devrais ajouter « nous, occidentaux » parce que dans de très nombreuses régions du monde, les adultes entourant les tous jeunes ne les laissent pas pleurer sans tenter de comprendre l’émotion ou le besoin que ces larmes expriment et d’y remédier — dans l’insensibilité ou le fatalisme : « bah, un bébé, ça pleure tout le temps ». Est-ce une raison pour le faire pleurer une fois de plus, pour mon divertissement ? 

    Je me souviens de la réaction d’une dame que je tentais de sensibiliser. Elle avait participé au tournage d’un film retraçant le parcours de réfugiés fuyant leur pays en guerre. Près de cette femme, une figurante attendait, comme les autres, le début de la scène, entourée de ses enfants et portant dans les bras son dernier âgé d’une dizaine de mois. Avant la scène, ce petit dernier était tranquille, ne sachant bien évidemment pas la raison de sa présence près de ces soldats, de ces camions militaires et d’une foule de gens. Quand soudain les figurants ont mimé un accès de panique générale, la foule s’est mise à courir, se bousculant pour monter à bord des véhicules. 

    On peut se demander quel était le meilleur acteur. À mon avis, c’était ce tout petit qui a réellement paniqué. Il s’est mis à pleurer, ne comprenant absolument pas pourquoi sa mère s’est mise à courir, faisant semblant d’être inquiète pour ses enfants. Comment ce petit était-il sensé comprendre que c’était « pour du beurre » ? Que ce n’était pas réel. L’argument de mon interlocutrice était que la situation, l’environnement étaient absolument sans danger pour le bébé. Contrairement à la réalité quelques années plus tôt. Et que donc, il n’y avait rien d’injuste à faire vivre à un jeune enfant ce que d’autres ont enduré réellement. 

    Sérieusement ? Quelle est la différence de « réalité » du point de vue du bébé ? Je m’efforce à ouvrir les yeux des gens sur l’inutilité d’engager un bébé « acteur » pour ce genre de scène. Les alternatives existent et sont même nombreuses.

Comme dans le premier extrait que je te présente. Il s'agit de l'épisode 14 de la 7e saison de Grace & Frankie, sortie cette année. Lorsqu'on entend un bébé pleurer, on comprend aisément que c'est un enregistrement collé sur les images du maxi-cosi que l'on devine vide d’ailleurs. Et ensuite, c'est un bébé calme, serein, que l'acteur dépose délicatement dans un tiroir de la cuisine. La petite joue avec les mains, montrant clairement qu'elle ne ressent aucuns besoins, elle est bien. Je remercie Marta Kauffman et Howard Morris d'avoir respecté le bien-être de cette petite. 

    Que dire de l'autre extrait ?, dont on voit ici la photo, également de cette année mais dont j'ai malheureusement oublié le titre. Le réalisateur laisse à penser qu’une personne découvre un sac de sport à l’intérieur duquel pleure un bébé. Bien évidemment, les spectateurs se doutent qu’on n’a pas réellement refermé le sac de sport sur le bébé, mais déjà rien que les quelques secondes du film montrent que le bébé n’est pas à l’aise, ne se sent pas en sécurité et réclame par ses pleurs qu’on lui vienne en aide, qu’on le sorte de cette situation. 

    Si c’était un chaton, un chiot, ou un petit de n’importe quelle autre espèce que les humains, filmé en train d’appeler à l’aide, les défenseurs des animaux monteraient au créneau. Comment se fait-il que l’on tolère cette pratique pour nos petits ? 

    Dès que j’en ai l’occasion, j’interpelle les réalisateurs mais bizarrement, c’est mon intervention qui choque le public. J'aurai l'occasion d'y revenir au prochain épisode. Je choque peut-être le grand public qui pense, j’imagine, que je compare les bébés à de jeunes animaux. À mes yeux de personne non anthropocentriste, la comparaison s’arrête au langage. Je parle uniquement d’enfants qui n’ont pas encore « la parole », entendez notre parole. Car les bébés, comme les animaux, ont un langage que la plupart de nous ne comprenons pas. 

    Et toi ? Qu’en penses-tu ?

    Si tu souhaites te joindre à mon engagement, je t’invite à signer la pétition dont le lien se trouve ci-dessous pour qu’ensemble, nous puissions participer à la création d’un monde juste.


Pour signer la pétition : 

https://chng.it/vRzW48ZS





Grace&Frankie, S7E14, Marta Kauffman et Howard Morris, 2022






Become a Patron!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire