lundi 23 mai 2022

Un monde juste 




https://pdca.st/yBfj


Face à l’adversité, aux épreuves, aux atrocités et autres calamités de notre monde actuel, de nombreuses personnes, de nombreux organismes s’activent à créer un monde meilleur, à défendre les droits de minorités, quelles qu’elles soient. Je souhaite participer à la co-création d’un monde juste. Non pas d’un monde plus juste, puisque cela impliquerait encore toujours des inégalités, mais un monde juste. Pour tous. 

Tu connais peut-être la légende du colibri, tirée de la philosophie du Mouvement Colibris, de Pierre Rabhi : 

Un gigantesque incendie ravage la forêt. Le colibri se précipite vers le lac, où il ne peut prendre que quelques gouttes d'eau dans son bec, va les verser sur le feu, revient vers le lac et continue ainsi sans relâche. Les autres animaux se moquent de lui, disant que c'est inutile. Lui répond : je fais ma part.

Ma part de colibri est de tenter de mettre fin à l'exploitation des émotions et sentiments de détresse de bébés et d’enfants en bas âge exprimés par des pleurs dans les films.


Suis-je la seule à être choquée en lisant l’article de Chris Snyder’s intitulé « Here's how they make babies cry in TV and movies »* (Voici comment ils font pleurer les bébés à la télé et au cinéma) ? 

Une dame, E. H., dont la profession est baby wrangler — littéralement "dresseuse de bébés", à l'instar des dresseurs animaliers pour les besoins d'un tournage —, utilise une technique spéciale pour faire pleurer un bébé sur commande : elle se met à pleurer elle-même et l’enfant commence à pleurer aussitôt. Elle explique que lorsqu’un bébé, même un nourrisson, entend un autre bébé pleurer, il va se mettre à pleurer aussi, et elle ajoute que c’est un exemple d’empathie. C’est instantané, dit-elle, et son taux de réussite est de 100%. Elle témoigne avoir entendu dire que d’autres baby wranglers utilisent des techniques douteuses comme de placer de mauvaises odeurs devant l’enfant ou de provoquer un bruit soudain intense. Ces méthodes, précise-t-elle, peuvent toutefois être nocives pour l’enfant et devraient être évitées.



Ne faudrait-il pas plutôt éviter d’utiliser les pleurs de bébés et d’enfants en bas âge à la télévision et au cinéma ? Comment peut-on affirmer que le bébé pleure par empathie ? Place quelques acteurs dans un lieu bondé et demande-leur de s’enfuir soudainement en courant et en criant. À coup sûr, l’expérience déclenchera un mouvement de foule. Si l’on interroge ensuite les personnes présentes, je serais étonnée de voir le nombre de personnes qui ont suivi le mouvement par empathie… De même, ne serait-ce pas plutôt parce que les bébés ne se sentent pas rassurés qu’ils se mettent à pleurer en voyant ou en entendant quelqu’un d’autre pleurer ? Comme le dit E. H. elle-même, lorsqu’elle arrête de pleurer et réassure l’enfant en lui disant que tout va bien, il s’arrête de pleurer. N’est-ce pas tordu de d’abord faire croire l’inverse à l’enfant, pour ensuite le rassurer lorsque la scène a été tournée ? 


« Un bébé, ça pleure tout le temps », entend-on dire souvent. Est-ce une raison pour le faire pleurer une fois de plus pour le divertissement ? Surtout quand il existe d’autres méthodes comme d’utiliser des poupées. Grâce à l’évolution des technologies, les répliques de bébés sont hyper réalistes à l’heure actuelle. J’avais contacté une entreprise spécialisée dans la création de poupées hyperréalistes pour l’art et le cinéma. Leur réponse : ne vous inquiétez pas, la réglementation est stricte et les réalisateurs la respectent.

Dans ce cas, j’estime que la législation ne correspond plus aux connaissances actuelles et je souhaite convaincre les législateurs de l’adapter. En France, par exemple, il est interdit de faire tourner un bébé avant ses 3 mois. Et pour un enfant entre 3 mois et 3 ans, la règle est une heure par jour de présence sur le plateau avec une pause obligatoire après trente minutes. C’est bien, mais on pourrait aller plus loin pour mieux défendre les droits des bébés et imposer de stopper immédiatement le tournage dès que l’enfant manifeste des signes de détresse physiologique ou émotionnelle. Et encore, en Belgique, les règles sont bien plus souples, paraît-il. Comme l’explique Rémi Bezançon qui, pour les besoins d’un tournage, a planté son décor dans une vraie maternité et a attendu jusqu'à ce qu’une future mère sur le point d'accoucher leur annonce qu'elle est d’accord de leur «prêter» cinq minutes son enfant**. La photo du film montre un nourrisson le visage crispé de pleurs, comme les poupées Berenguer, hyperréalistes, qui pleurent.



Et si les producteurs tiennent à filmer un vrai bébé — et je ne demande pas mieux qu’ils continuent parce que j’aime voir des bébés dans les films, mais des bébés heureux, sereins — il suffit tout simplement de ne pas montrer le visage de l’enfant et de passer l’enregistrement de pleurs d’un bébé en situation normale. Ou de filmer la poussette vide. De plus en plus de réalisateurs ont recours à ces méthodes.


Comme l’explique la Leche League sur son site***, les pratiques courantes dans les pays industrialisés qui consistent à laisser un bébé pleurer « ne correspondent pas aux besoins émotionnels et psychologiques des jeunes enfants, et peuvent avoir des conséquences négatives à long terme sur leur santé psychologique. Les pleurs du bébé sont un signal de détresse physiologique ou émotionnelle. Laisser un bébé pleurer sans lui apporter de réconfort, même pendant une courte période, peut être très angoissant pour lui. »


Il existe certes un débat sur la question de savoir s’il est bon ou non de laisser pleurer un bébé et des professionnels de la santé auront des arguments pour ou contre, mais que dire de la commercialisation de cette pratique par l’industrie de la télévision et du cinéma ? Pour le divertissement…?!? C’est choquant, non ?


Personnellement, je ne trouve pas cela juste pour ces jeunes enfants. Je repense à ce petit que l’on voit sur la photo, filmé pour la série Collateral de David Hare. Il pleure dans les bras de « sa mère », junkie, qui se fait livrer une pizza censée être accompagnée de la drogue qu’elle a commandée. Si l’on prête attention au bébé « acteur », on constate que les pleurs collent avec les images. Ce sont les pleurs réels du bébé, que l’on a déclenchés avant même l’arrivée du livreur, casque de moto vissé sur la tête, ce qui n’est certainement pas fait pour apaiser la peur du bébé.

Comment ont-ils fait pour le faire pleurer juste avant de tourner la scène ? Ils l’ont arraché des bras de sa mère ?

Je n’ai plus envie d’acheter un ticket de cinéma ou un dvd sans avoir la garantie que le réalisateur n’a laissé aucun enfant en bas âge pleurer pour les besoins du tournage. Et si l’industrie du cinéma ne juge pas opportun de généraliser la mention que je propose — « Aucun bébé ni enfant en bas âge n’a été malmené ou maltraité durant ce tournage » — que l’on impose au moins l’avertissement : « Des enfants en bas âge ont été amenés à pleurer pour les besoins du tournage », pour que je puisse choisir en connaissance de cause.


Et toi ? N’as-tu pas envie d’un monde juste ?


* SNYDER Chris,Here's how they make babies cry in TV and movies, 2019

https://www.businessinsider.com/babies-cry-movies-tv-hollywood-baby-wrangler-kids-2019-1?IR=T

(consulté le 25 avril 2020)



** BAJOS Sandrine, Enfants artistes : les bébés belges stars à un jour, article du Parisien de 2017,

https://www.leparisien.fr/laparisienne/people/enfants-artistes-les-bebes-belges-stars-a-un-jour-09-03-2017-6746487.php

(Consulté le 22 mai 2022)


*** Ne laissez pas pleurer les bébés, article paru dans les Dossiers de l’allaitement, 2004,

https://www.lllfrance.org/1337-da-61-ne-laisser-pas-pleurer-les-bebes 

(consulté le 25 avril 2020)


Crédits photos

https://www.leparisien.fr/laparisienne/people/enfants-artistes-les-bebes-belges-stars-a-un-jour-09-03-2017-6746487.php

https://www.lucasbebe.com/product/14-pouces-pleurer-premature-berenguer-la-vie-reborn-poupee-bebe-garcon-1172906

https://www.amazon.ca/-/fr/Poupée-pleurant-Berenguer-LifeLike-accessoires/dp/B01D6G2G0Q

(Consultés le 22 mai 2022)


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