jeudi 16 avril 2020

Les bébés pleurant dans les films

Bonjour,

Dans ces moments de confinement, nous sommes nombreux à vouloir co-créer un monde meilleur
Ma part de colibri* est de tenter de mettre fin à l'exploitation des pleurs des bébés et enfants en bas âge dans les films.
J'ai tenté d'alerter les médias, j'ai écrit une douzaine de lettres à différents organismes et institutions de protection des droits de l'enfant, à des fédérations de réalisateurs, j'ai lancé une pétition en novembre, j'ai interpellé des réalisateurs en personne... En vain. 

Si vous partagez mon avis, merci de bien vouloir signer la pétition en ligne et qui sait ? peut-être notre souhait deviendra-t-il réalité ?

Voici le lien vers la pétition "Des bébés heureux dans les films" :
http://chng.it/vRzW48ZS

Merci de tout coeur, portez-vous bien.

Marie-Eve Van Linthoudt

* La légende du colibri : Un gigantesque incendie ravage la forêt. Le colibri se précipite vers le lac, où il ne peut prendre que quelques gouttes d'eau dans son bec, va les verser sur le feu, revient vers le lac et continue ainsi sans relâche. Les autres animaux se moquent de lui, disant que c'est inutile. Lui répond : je fais ma part.
(philosophie du Mouvement Colibris, Pierre Rabhi).




Les bébés pleurant dans les films


Certains d’entre vous figuraient peut-être parmi les millions d’internautes qui ont vu la vidéo qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux, celle d'un papa dont les enfants font irruption dans son bureau alors qu’il est interviewé par la BBC. « Hilarious, the most laughable video… », ont commenté les internautes. Suis-je la seule à ne pas avoir ri ? Suis-je la seule à avoir vu la dureté avec laquelle la mère sort la petite fille de la pièce ? Si on passait les images au ralenti, les gens verraient-ils la brutalité ? Et si c’était un chiot ou un chaton que la femme avait tiré brutalement par la patte, à deux doigts de lui déboîter l’épaule pour ensuite le traîner au sol ? Les organismes de protection animale ne seraient-ils pas monté au créneau ? Si vous focalisez votre attention sur la petite, vous verrez qu’elle se prend d’abord le coin de la table dans les côtes et qu’elle crie clairement lorsque sa mère la tire par le bras : aïe aïe aïe tandis que la dame la fait quasiment passer sous le trotteur du petit frère, l'espace laissé entre le trotteur et le chambranle de la porte étant trop étroit. Si l’on écoute attentivement, on entend distinctement les cris de douleur de la petite fille.
La vidéo étant devenue célèbre entre-temps, la famille en a diffusé de nouvelles montrant que la petite va bien. La mère a réagi à chaud, dans le stress de l’interview, mais les parents auront probablement pu expliquer à leur fille pourquoi sa mère lui a fait mal.

Que dire des scènes écrites, programmées d’un film ? Les parents expliquent-ils à leur enfant qu’on va les faire (ou laisser) pleurer pour le plaisir, pour faire rire des gens ou les émouvoir ?
Comme dans le film allemand 3 Türken und ein Baby de Sinan Akkuş.
Combien de personnes adultes y a-t-il sur le tournage d’un film ? Vingt ? Cinquante ? Cent ? Plusieurs centaines ? J’aurais voulu être une mouche pour voir la réaction de tous ces gens : étaient-ils indifférents aux pleurs de la petite actrice ? Décontenancés ? Tristes ? Amusés peut-être puisque le but du film était de faire rire. Aux dépens de la petite fille ?!? Si ça tombe, la mouche, elle, aurait été horrifiée de voir ce que notre espèce inflige à ses petits. Parce que la petite figurait parmi les meilleurs acteurs du film : quand elle se débat, quand elle s’écarte ostensiblement du buste de l’acteur qui la porte, quand elle tente vainement par ses cris et ses pleurs d'obtenir de sa maman qu'elle vienne la reprendre des bras de cet homme, elle pleure VRAIMENT.
Dans la scène de l’hôpital, lorsqu’elle est assise sur les épaules de l’homme, elle est tranquille au début. Si vous vous concentrez sur son visage, en particulier ses yeux, vous verrez qu’elle regarde vers le bas, observe quelque chose ou quelqu’un puis se met soudainement à pleurer. Qu’a-t-elle vu ? N’est-ce pas un peu tordu de rechercher CE QUI va immanquablement déclencher les larmes de la petite fille pour l’utiliser à dessein ? Pour le divertissement ?

Autre exemple : le film indien Amu de Shonali Bose.
Autant il est intéressant d’apprendre une partie de l’histoire méconnue des Sikhs, autant il est difficile de ne pas avoir mal au coeur lorsque l’on se focalise sur le petit garçon pendant toute la durée de la scène. Il commence à pleurer lorsque la famille, assise par terre pour le repas, entend soudain les cris d’une foule déchaînée. Il n’est pas nécessaire de comprendre la langue pour savoir que le petit appelle « Mummy » en pleurant. Durant la totalité de la scène, le petit ne cesse de pleurer. Détonation, coups de feu, hurlements, bris de verre. L’actrice représentant la mère de famille s’écrie anxieusement : « C’était quoi ? », le père se lève, prend un couteau, intime à « sa femme » de rester à l’intérieur avec les enfants. La femme attrape les enfants, les force à se lever et à se cacher sous une tablette. Si vous gardez votre attention sur le garçon durant toute la scène, vous comprendrez qu’il ne fait pas semblant d’être terrifié, il L’EST ! Il pleure pour du vrai et appelle sa maman à l’aide. Personne ne lui aura dit que c’est du cinéma, qu’il n’a pas à avoir peur, que rien de tout ce qu’il vit n’est réel… Bien évidemment, sinon il n’aurait pas pleuré et la scène aurait manqué de réalité.

Comment ensuite inculquer la confiance à ce jeune enfant ? Comment espérer qu’il développe une confiance dans les adultes, dans la vie ? Si l’on en croit la neuropsychologue Bérengère Guillery-Girard, « Bien que nous oubliions les premières années de notre vie, elles marquent pourtant durablement notre personnalité à l’âge adulte ».
Ai-je vraiment envie que l’on traumatise de jeunes enfants pour mon plaisir de spectatrice ?
Comment les réalisatrices et réalisateurs peuvent-ils penser que ce n’est pas grave ? Et si ça l’était ? Dès que l’on s’efforce de ne pas se laisser emporter par la fiction, dès que l’on garde une attitude d’observateur conscient, comment ne pas penser que c’est injuste d’infliger cela aux jeunes enfants ?

Dans un épisode de la série britannique Collateral de David Hare, un bébé pleure dans les bras de « sa » mère junkie qui se fait livrer une pizza censée être accompagnée de la drogue commandée. Si l’on prête attention au bébé « acteur », on constate que les pleurs collent avec les images. Ce sont les pleurs réels du bébé, que l’on a déclenchés avant même l’arrivée du livreur, casque de moto vissé sur la tête, ce qui n’est certainement pas fait pour apaiser la peur du bébé.
Comment ont-ils fait pour le faire pleurer juste avant de tourner la scène ? Ils l’ont arraché des bras de sa mère ?

Je me demande d’ailleurs comment ils font, les réalisateurs. Ils affament l’enfant ou quoi ? Ils le maintiennent éveillé et attendent qu’il soit épuisé ? Ou bien ils l’empêchent de voir ses parents ?
N’y a-t-il aucun moyen de protéger ces bébés et enfants en bas âge qu’on laisse délibérément pleurer alors que les alternatives existent ? Certains réalisateurs se contentent d’enregistrer les pleurs réels d’un bébé et de coller ensuite la bande son sur les images d’un nourrisson que l’acteur ou l’actrice porte la tête tournée vers soi. Ils ont confiance en l’intelligence des spectateurs qui savent très bien à quoi ressemble un bébé en pleurs. Inutile d’en traumatiser un!

J’ai commencé à remarquer la souffrance des enfants en voyant Lore, un film australo-germano-britannique de Cate Shortland consacré aux enfants d’Hitler. 
J’avais été invitée à l’avant-première à Bruxelles. Je me souviens être sortie envahie d’un sentiment de tristesse ahurie et j’ai regretté de ne pas m'être levée pour quitter la salle immédiatement. De tous les acteurs, c’était ce petit bonhomme de neuf ou dix mois qui jouait le mieux. Le film n’est pas disponible sur le site de streaming auquel je suis abonnée et je n’ai certainement pas l’intention de payer quoi que ce soit aux réalisateurs pour pouvoir le revoir et montrer des extraits, mais je me souviens avoir eu le sentiment que le bébé pleurait du début à la fin du film. Et il pleurait pour de vrai, ça, c’est sûr : il ne jouait pas la comédie.
Quand je vois que ce film a remporté 14 prix et 15 nominations (!), ne devrais-je pas m’inquiéter pour l’avenir de l’humanité ?

Depuis lors, je sors instantanément de la fiction dès que je vois un jeune enfant pleurer dans un film. Avant, j’étais comme la plupart des gens. Je pense que nous sommes tout simplement tellement habitués à ce genre de scènes que nous ne réalisons pas que ces tout-petits ne JOUENT pas la comédie. Le problème est que plus nous en voyons, plus nous trouvons cela normal et devenons insensibles.
Dans Love, Rosie par exemple, l’actrice jouant la jeune mère est tellement brillante que je me suis moi-même laissée emporter par son jeu d’actrice et j’ai oublié l’espace d’un instant que c’est une « étrangère » qui laissait délibérément pleurer le nourrisson dans ses bras ! Est-ce vraiment juste pour ce nouveau-né ? 

Encore un autre exemple.
J’ai aussi vu l’avant-première de Kings, un film de la réalisatrice Deniz Gamze Ergüven. Un film intense sur la violence interraciale, mais intelligemment équilibré par des émotions et valeurs humaines d’amour, de soins et de partage. J’aurais certainement recommandé ce film s’il n’y avait pas eu trois scènes. Était-ce réellement nécessaire d’ajouter deux victimes à cette triste histoire vraie ? Les bébés « acteurs » méritaient-ils d’être traumatisés ? Je ne le pense pas. Ces trois scènes n’ont rien ajouté à l’intensité du film.
Dès l’entame du film, des coups de feu se font entendre. La mère paniquée enjoint à ses enfants adoptifs de se réfugier sous la table de la salle à manger. Si vous vous focalisez sur le petit garçon de deux ans, il est impossible de ne pas voir qu’il est RÉELLEMENT terrifié. Idem quelques minutes plus tard pendant la scène où une casserole prend feu. Toute la maisonnée paniquée crie et se précipite à l’extérieur. Le petit ne SAIT PAS qu’il est en sécurité ! Il pleure de terreur.
Et idem encore durant les émeutes où l’on voit deux bambins assis par terre, pleurant jusqu’à ce que la morve leur dégouline sur le visage.
Nous sommes en 2020 ! Il y a belle lurette que nous avons arrêté de maltraiter les animaux pour le plaisir ! N’est-il pas grand temps d’arrêter de malmener de jeunes enfants pour le divertissement ?

Dans Cargo, un film australien de Ben Howling et Yolanda Ramke, plusieurs scènes montrent une petite fille de deux ans environ en pleurs. Deux scènes sont particulièrement difficiles si vous ouvrez les yeux sur le fait que les bébés et bambins ne comprennent pas qu’ils sont dans une fiction : lorsque l’acteur principal tente de faire taire le bébé en lui mettant la main devant la bouche, on peut voir que l’homme est doux en réalité mais malgré tout, la petite n’aime pas ça et essaie de le faire comprendre en secouant la tête et en pleurant. Et la scène où la même petite fille est assise sur les genoux d’un autre homme. L’acteur est excellent et fait semblant d’utiliser la force alors qu’il est doux envers la petite. Malgré tout, on peut voir clairement que son visage effrayant fait peur à la petite qui appelle sa maman à l’aide.

Comment se fait-il qu'on laisse faire ? Pourquoi continue-t-on à regarder et à laisser faire ? « Le monde est dangereux non pas à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire », disait Albert Einstein. Eh bien, je ne veux plus laisser faire. Je ne souhaite plus voir d’enfants en bas âge dont les besoins ont délibérément été niés pour obtenir d’eux qu’ils pleurent de façon durable. 

Je demande aux autorités européennes et internationales d’adopter une loi sur l’utilisation de bébés et d’enfants en bas âge pour le divertissement, d’étudier les effets psychologiques à long terme sur eux et d’interdire l'exploitation des sentiments de tristesse, peur, douleur, détresse de bébés ou d'enfants en bas âge pour les besoins d’un tournage.

Et je fais le vœu de voir un jour apparaître sur CHAQUE film la mention « Aucun bébé ni enfant en bas âge n’a été brutalisé ou maltraité durant ce tournage ». 

Et vous ?

Marie-Eve



Bibliographie

Films

3 Türken und ein Baby, Sinan Akkuş, 2015
Amu, Shonali Bose, 2005
Cargo, Ben Howling et Yolanda Ramke, 2017
Children interrupt BBC News interview, 10 mars 2017
https://www.youtube.com/watch?v=Mh4f9AYRCZY
(consulté le 27 mars 2017)
Collateral, série britannique de David Hare, S1E1, 2018
Kings, Deniz Gamze Ergüven, 2018
Lore, Cate Shortland, 2013
Love, Rosie, Christian Ditter, 2014

Article
Le mystère de l’amnésie infantile se dissipe, article de Bérengère GUILLERY-GIRARD paru dans la revue La Recherche hors-série n° 22 « La Mémoire », p. 41.

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